Depuis déjà cinq jours que les nuages étaient restés accrochés aux hauts sommets, comme s'ils avaient étés enrobés de velcro de part et d'autre. La longue saison des grands froids semblait bien arrivée. Ce matin, à mon départ d'Hemis Shukpachan, les Géants des alentours arboraient les bonnets blancs fraîchement tricotés par Dame Nature. Il était temps que je redescende sur Leh. Sept ou huit cent mètres plus bas quand même, ça fait quelques degrés de plus, mais il y a tout de même 3550 mètres qui me séparent du niveau zéro. L'air est donc toujours moins riche en oxygène... et ça me gène un peu!
Mais, à cette heure du grand remue-ménage des Jeux de Delhi, je ne vais pas noircir cette page à vous parler que du temps qu'il fait. Il y a trop à dire sur ces Jeux "du bien commun" pour s'attarder aux changements atmosphériques. Ici, mon discours ne portera pas non plus sur les Commonwealth Games Number XIX de New Delhi. Non! Il y a le "bien commun" (ou comme disent les anglais le "Common Wealth") des riches qui dépensent des fortunes pour faire avancer leurs athlètes à la manière de chevaux de course, pour le Glamour et pour le paraître-grand et il y a le "bien commun" des pauvres qui est partagé, autant se faire que peut, par toutes ces petites gens d'en bas.
J'ai passé les neuf derniers jours chez mes amis du petit village dont je vous parle depuis si longtemps. Là où le temps semble s'être accroché, comme les nuages après les montagnes, dans une époque que même mes grands parents n'ont pas connue. Une époque très ancienne, dans laquelle le seul modernisme des communications (télé et téléphone) est venu s'ajouter à la trame de ce temps révolu chez-nous. Comme mes amis, j'ai pris la faucille... Oui! Oui! La faucille! Et j'ai couché par terre un très grands jardin de légumes, arrachant ensuite à cette terre himalayenne, les navets et les carottes qui serviront à remplir les ventres de ma grande famille adoptive pour les trois saisons à venir. J'ai aussi charrié cent cinq sacs de paille de blé jusque dans la tasserie, pour que les bêtes aient aussi à manger pour le neuf lunes à venir. À chacun de mes pas, à chacun de mes gestes, je sentais mon bonheur prendre les devants sur l'effort exténuant (ah l'altitude!) à la seule pense que je venais de soulager mes amis de quelques labeurs.
Pour en revenir à ces Jeux...
Ici, tout se joue au jour le jour. Comme les oiseaux qui passent leurs journées, fébriles, à se battre avec les éléments pour gagner leur repas, leur survie, mes amis d'ici courent du matin très tôt au soir très tard, pour continuer de vivre, pour faire rouler la machine du bien commun. C'est à Tashi et Ane Chomo (la mère de 43 ans et la vieille none bouddhiste de 66 ans) que je décerne ma médaille d'or, parce qu'ici (comme presque partout ) ce sont les femmes qui portent les fardeaux. Des petits à faire grandir et qui un jour les laisseront seules devant les corvées pour partir au loin, étudier dans les grands livres, jusqu'aux innombrables sacs de cents livres dont elles se chargeront le dos à en user leur corps et leur cœur, c'est ELLES qui feront rouler la vie et le bien commun. Elles partirons ainsi, tous les soir, se coucher en transportant sur l'oreiller leur fatigue dont elles ne montreront jamais ni la pointe, ni la base. C'est pour ELLES que je suis venu mettre le bras à quelques-unes de leurs roues de corvées quotidiennes et saisonnières. Pour les soulager, leur donner un brin de repos qu'elle n'arriveront qu'à peine à rattraper le soir venu, de toute façon.
Mais il y a des hommes buffles aussi. Ceux-là aussi travaillent fort et repoussent les saisons tant que faire se peut. J'en ai rencontré un encore bien plus spécial que les autres. Mémé Wangtok est l'Amchi du village, mais aussi celui de tout un Ladakh qui lentement semble perdre contact avec cette vieille médecine du terroir que leur ont légué les descendants tibétains du Bouddha. Il m'a invité chez-lui, comme ça, parce qu'il avait envie de partager avec moi sa sagesse et ses vues sur le monde dans lequel il vit.
Il m'a révélé sa tristesse de voir que les ladakhis, quoique traditionnellement assez dévots, avaient perdus le message de compassion livré par l'Éveillé. "Ils prient beaucoup, mais ils n'appliquent pas les enseignements du bouddha. Ils deviennent égoïstes et sans attention envers les autres". Je lui ai dis combien ce "mal étrange" existait partout ailleurs où je suis allé. Il connaît ces ailleurs. Il a voyagé à travers l'Europe et l'Asie pour enseigner cette médecine qui soigne en écoutant des dizaines de pouls différents et en fabricant, comme les grands apothicaires, les médecines qui seront ensuite offertes à ses patients. Pendant un moment, je me suis pris à rêver que je pourrais le faire venir en Amérique du Nord pour qu'il partage avec nous son savoir et ses vues. On a tant besoin de retour aux sources.
Il m'a révélé sa tristesse de voir que les ladakhis, quoique traditionnellement assez dévots, avaient perdus le message de compassion livré par l'Éveillé. "Ils prient beaucoup, mais ils n'appliquent pas les enseignements du bouddha. Ils deviennent égoïstes et sans attention envers les autres". Je lui ai dis combien ce "mal étrange" existait partout ailleurs où je suis allé. Il connaît ces ailleurs. Il a voyagé à travers l'Europe et l'Asie pour enseigner cette médecine qui soigne en écoutant des dizaines de pouls différents et en fabricant, comme les grands apothicaires, les médecines qui seront ensuite offertes à ses patients. Pendant un moment, je me suis pris à rêver que je pourrais le faire venir en Amérique du Nord pour qu'il partage avec nous son savoir et ses vues. On a tant besoin de retour aux sources.
Il a cuisiné des légumes de son jardins, assaisonnés avec des herbes et des graines que l'on ne retrouve que sur ces hautes terres. Il connaît tellement bien tout ce qui pousse ici. C'était un délice de savourer sa nourriture et ses mots. Au moment des au revoir, il m'a dit qu'il avait eu envie de passer un moment avec moi chez-lui, parce qu'on devait certainement avoir une vie passée en commun pour si bien se retrouver ainsi, sur la voie du cœur. Sa vielle épouse, comme un petit chat, a suivi la conversation et le déroulement de la soirée collée sur le petit poêle à bouses de vache, s'essuyant les yeux de fatigue, mais restant souriante. C'est son époux qui a tout fait. Quel homme vénérable ce mémé!
Pour en revenir à ces femmes formidables, elles m'ont arraché des larmes ce matin. C'est la plus jeune qui a parti la vague d'émotions. Une jeune none de 26 ans, intellectuellement déficiente, qui a choisi de devenir none pour servir la communauté moniale du monastère de son village, toutes des vieilles femmes en robes rouges, puis pour servir sa famille qui en a tellement besoin. Au moment des au revoir, elle s'est jetée dans mes bras et s'est mise à pleurer, comme une jeune fille qui voit son amant partir à la guerre, la peur au ventre de ne plus le revoir. La douleur reconnue d'une nouvelle séparation. J'ai fait de mon mieux pour la consoler et je suis parti vers les plus vieilles, la mère Tashi et la vieille none. Elles m'attendaient avec tous ces présents: katas, abricots séchés, biscuits pour la route, collier d'amandes... etc. J'avais les yeux mouillés. Je reviendrai peut-être, leur ai-je dis, le doute plus grand que jamais auparavant. C'est à elles que je donne toutes mes médailles d'or à l'occasion de ces Jeux Du Bien Commun. Quand à ceux du "Common Wealth"... les riches s'en déchargent bien!
Pour vous mettre au parfum de l'Inde, vous pourrez toujours allumer votre télévision sur ces jeux, mais c'est à côté de ces derniers que se trouve l'Inde!
Bonne fin de septembre
Raymond Thundup
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